Taubira et l’opportune banane du consensus

a-TAUBIRA-MINUTE-640x468L’affaire dite « de la banane » démontre l’état de décomposition avancée de la lutte contre le racisme; le consensus face à l’évidence du racisme ordinaire masque mal, en effet, que la couleur de peau est en réalité le dernier critère faisant encore l’unanimité contre lui.

« Scandale ». « Honte ». « Infamie ». L’ensemble du spectre politique hexagonal n’avait pas de mots trop durs, ces jours-ci, pour qualifier la couverture (d’extrême droite) du magazine (d’extrême droite) Minute. Sur le fond, on ne peut que partager l’indignation envers un racisme ordinaire, évident, et pour tout dire assez stupide. Mais comment ne pas aussi, dans le même mouvement, se préoccuper de ce que cache cet unanimisme ?

En effet, les cris d’orfraie face à cette « une » permettent, fort opportunément, de rassembler les énergies républicaines autour d’un racisme facile et consensuel: le noir identifié comme singe. Cela fait du bien, sans doute, car dans une société percluse de luttes identitaires, de replis et de xénophobies diverses,  il commençait à manquer d’une figure, d’une icône, d’un phare pouvant faire croire que le racisme était quelque chose de simple, d’aussi manichéen entre bons et méchants que l’époque les autocollants « touche pas à mon pote » des années 80. Hélas, trois fois hélas, c’est une illusion.

Le racisme animal envers les noirs n’est pas seulement l’une des formes les plus abjectes de racisme ; c’est aussi l’une des plus stupides. L’une de celles qui renvoient aux théories de « races » humaines démenties par tout scientifique sérieux. Bref, celle dont le racisme est le plus évident, net et indiscutable. Le problème c’est que la belle unanimité condamnant ce racisme primitif vole en éclat dès qu’on aborde les autres dossiers discriminatoires. La discrimination à l’embauche des jeunes d’origine maghrébine, les perpétuelles affaires de foulard et de burqa, les Roms, les Afghans, les demandeurs d’asile : voilà les véritables dossiers litigieux aujourd’hui. La mobilisation unanime contre Minute ou contre les manifestants scandant « Y’a pas bon Taubira » n’est qu’un vernis permettant d’oublier quelques instants qu’en réalité, la lutte contre le racisme n’est plus un sujet évident et consensuel. Cette lutte contre le racisme, unanime quand il s’agit de lutter contre la réduction d’une femme noire à un animal, se délite quand il s’agit de se demander si tel propos sur les Roms outrepasse la liberté d’expression, si telle remarque sur facebook ou twitter relève de la discrimination ou si tel vêtement doit ou non être interdit. Car sur ces sujets, le consensus n’est plus ; la société se divise entre ceux qui s’accrochent aux lois antiracistes et discriminatoires tels des Évangiles aptes à résoudre tous les actes de racismes, et ceux qui pensent vivre sous une oppression morale où « on ne peut plus rien dire » – et, au milieu, une série de citoyens un peu perdus sur ces questions. Cela renvoie à ce qu’on s’était permis d ‘appeler ailleurs l’impasse moralisatrice de la lutte contre le racisme, dont le constat appelle à trouver des formes renouvelées de lutte contre les discriminations impliquant davantage le métissage et la rencontre que l’appel moralisant et compulsif à la loi.

Bref, l’affaire Taubira n’est qu’un court répit permettant de retrouver à peu de frais quelques fondamentaux. Bien rapidement, parions qu’une prochaine péripétie identitaire sur un jeune de cité, une famille Rom ou un tweet antisémite nous fera replonger dans le kaléidoscope d’identités blessées et perdues que semble être aujourd’hui cette société qui ne sait plus dans quel miroir se refléter.

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